Intervention aux quatrièmes journées de la société guadeloupéenne de psychiatrie
Mesdames, Messieurs, Chers confrères,
Je voulais tout d’abord avant de commencer, remercier la direction du Centre Hospitalier de Montéran, ainsi que le comité scientifique du colloque en particulier le docteur Michel EYNAUD, qui m’a invité à participer à cette manifestation. Je voudrais également remercier le Docteur Adrien, que j’ai connu lors de missions humanitaires en Haïti, pour la qualité de la collaboration que nous avons pu avoir à Port-au-Prince et comme on dit en Haïti, dans le pays en dehors.
Mon intervention se fera sur un thème tellement répété, que l’on pourrait avoir le sentiment que tout a été dit sur la question de l’individuel et du multiple, en particulier pour ce qui est des relations hommes femmes, dans les sociétés créoles. Cependant, il nous faut rappeler que la répétition de discours, de faits finissent par faire en sorte que ceux-ci deviennent une sorte de référence, une sorte de « pensée quasi normale ». Or nous savons que pour les psys en général, qu’ils soient psychologues ou psychiatres, ce qui est normal est loin de l’être pour la majeure partie de la population. Par conséquent, il nous faut toujours questionner ce qui apparaît, c’est-à-dire ce que nous avons besoin de répéter à l’envie, afin de forcer cette idée à devenir une vérité, pour ne pas dire la Vérité.Par conséquent, il n’est pas anormal de traiter des relations multiples entre hommes et femmes, en sachant que toutes les formes de couples et de partenariats sont possibles.
Pour traiter de cette question, nous allons d’abord rappeler ce que dit le droit. Ce que dit le droit et en particulier, l’article 143 du Code civil, qui dispose que le mariage peut être contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe (précision supplémentaire apportée par la loi dite Taubira qui permet aux personnes de même sexe de se marier). La loi dit également dans l’article 212 du Code civil, que les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance. Autrement dit : rappeler qu’il y a quelque chose de mutuel, à la fois de l’un vers l’autre et non pas que ce respect, cette fidélité, ce secours, cette assistance devraient être le fait d’un seul et même partenaires,mais plutôt, le fait des deux. On pourrait dire que le fait que les couples qui ne sont pas mariés ou qui ne sont pas pacsés, ne sont pas contraints à cette fidélité, à ce secours, à cette assistance et à ce respect. Nous pensons aussi, et cela est effectivement discutable, qu’au-delà du respect du mariage, il y a ce qui relève du respect des êtres humains eux-mêmes, qu’ils aient contracté ou non un lien légal.
La deuxième réalité nous est apportée par les statistiques, que je vous présente ci-joint. En regardant la pyramide des âges, nous voyons que la répartition entre les hommes et les femmes, est la suivante : pour l’année 2012, et avec une légère évolution en 2014, entre 30 et 35 ans, nous avons 12 000 hommes et 16 000 femmes et entre 45 et 50 ans, 14 000 hommes et 17 000 femmes et pour finir entre 45 et 50 ans, 15 000 hommes et 18 femmes. La différence est par conséquent entre les hommes et les femmes, et ce quelle que soit la tranche d’âge, entre 10 et 20 %. Ce qui voudrait dire qu’il aurait 17 % de plus de femmes que d’hommes et non pas 2 à 3 fois plus de femmes que d’hommes, comme nous avons tendance à le penser habituellement. Par conséquent, dans notre représentation habituelle, il y a quelque chose de l’ordre du fantasme, qui est loin de répondre à la réalité statistique de la répartition hommes/femmes. L’autre réalité fantasmée, est celle de la famille monoparentale. Entre 2007 et 2012, le taux de familles monoparentales passe 36 à 33 %. Ce qui signifie qu’une famille sur trois est monoparentale et par conséquent, la encore, ce n’est pas la majorité. Mais ce qui est surprenant, qu’alors même que nous avons tous les éléments qui pourraient permettre de légitimité la fidélité, que ce soit par les mathématiques, que ce soit par le droit, on se rend compte que l’infidélité persiste mais surtout, que les individus répètent qu’elle est la conséquence du plus grand nombre de femmes.
Cependant, il y a quelque chose de l’ordre d’une réalité qui nous semble beaucoup plus important à questionner, à propos justement, de l’histoire du couple dans les Sociétés Créoles. Nous avons toujours entendu que l’homme noir, mis en état d’esclavage, a été utilisé comme un étalon. Son statut d’homme-étalon pourrait dès lors expliquer, pour ne pas dire justifier, son infidélité. Ce statut acquis avec celui d’esclave serait reproduit par les générations futures et, cet homme ne pourrait construire une famille et ne ferait que reproduire avec ses enfants, ce qu’il avait connu de son père. Et, ces derniers ne faisant que reproduire eux-mêmes, ce statut d’étalon en particulier les enfants mâles. Nous pensons qu’en réalité, cette affirmation qui, malgré sa répétition n’en fait pas une réalité et, elle peut être démentie de plusieurs manières. La première, parce que durant la période esclavagiste, l’arrivée des femmes ne s’est pas faite immédiatement avec l’arrivée des premiers hommes. La seconde, nous faisons l’hypothèse qu’il existe un conflit initial entre l’homme et la femme, créoles. Durant cette période, la femme était le plus souvent contre son gré, l’objet de satisfaction sexuelle du maître et, l’homme noir n’y avait pas droit. Ou s’il avait un droit c’était celui de la partager, avec le maître. On voit par conséquent, qu’il a pu naître sur le plan inconscient, une espèce de contentieux entre l’homme et la femme, dans lequel, l’homme reprocherait à la femme d’avoir été la maîtresse du maître. Il lui reprocherait aussi de n’être que le second, que l’amant, et à elle, d’être une femme infidèle…… par la force des choses. Il lui reprocherait de n’avoir pas été reconnu comme l’époux légitime, même si je le rappelle, le code Noir permettait le mariage entre esclaves, à condition que le maître soit d’accord. Il permettait aussi celui entre maîtres et esclaves, dans une réalité qui est largement discutable, celle de la question de l’identification. Nous ne pensons pas que l’homme et l’homme noir en particulier, se soit identifié à cette image de l’esclave-étalon, mais davantage à l’image du maître, qui lui avait l’avantage d’avoir plusieurs femmes et plusieurs enfants. De ce fait, c’est l’identification à l’homme blanc, qui était souvent la couleur du maître, qui favorise cette identification à ce statut d’homme-étalon. Et, c’est parce qu’il a eu envie de faire comme le maître, qui représente quelque part son père idéal, qu’il a voulu agir ainsi. Car l’identification se fait le plus souvent, sur une référence positive, à partir d’une référence valorisante et non à partir d’une référence négative. Par conséquent, nous pensons que ce qui relève du fantasme, est bien évidemment lié à l’esclavage mais, c’est l’interprétation de la réalité qui est faite qui est fausse.
Nous allons encore plus loin dans cet autre fantasme, qui est de penser que finalement cette relation entre hommes et femmes, sur la base d’une violence subie à la période de l’esclavage, fonde aussi un contentieux hommes/femmes, qui se traduit par une autre forme de violence, celle du fait de la mauvaise réputation. De même que l’on a associé la violence faite aux femmes, comme étant le fait que les hommes qui les obligeaient à vivre dans l’infidélité, qui les obligeaient à être pénétrées, qui les obligeaient à supporter les maîtresses à supportent la présence d’autres enfants. Il y a un autre élément qui est important, c’est que lorsque même tout le monde savait cela, on faisait référence à la loi, pour qu’il n’y avait pas de reconnaissance des enfants. Et cela donne un éclairage extrêmement important sur les conditions du vécu douloureux, des relations hommes-femmes, notamment pour les enfants nés de ces unions hors mariage, non officielles, qui constituent une souffrance pour ces femmes et ces enfants qui vivent dans l’ombre, pour cet enfant de l’ombre, qui n’est pas reconnu, même s’il peut fréquenter le foyer paternel.L’autre élément qui semblait important dans la relation hommes-femmes, est le fait de la violence permanente à l’égard des hommes. On voudrait qu’ils soient absents, qu’ils ne soient pas des pères compétents, qu’ils ne s’occupent pas de leurs enfants et passent leur temps, comme nous l’avons dit, de foyer en foyer et qui finalement n’auraient pas de comportement responsable à l’égard de leurs femmes et de leurs enfants. Cette violence faite aux hommes, devient peu à peu par la répétition, une violence légitime et plus encore, une violence sans acte et sans manifestation explicite dans sa réalité. Mais on le voit dans les bureaux, c’est ce que j’ai appelé « le syndrome du travailleur social ». Pour l’accueil visiteur, il n’y a souvent qu’une chaise, qu’un fauteuil, par conséquent on légitimise de manière inconsciente, l’absence du père. Et cette violence faite aux hommes, les éloignent peu à peu du foyer. Il faut se dire par ailleurs, que ce qui expliquerait aussi l’infidélité ce ne serait dès lors non pas la conséquence de l’esclavage, mais, la conséquence du comportement des professionnels. Or ceux-ci étant des référents, leur conduite tend à légitimer cette exclusion du père et finalement, la société, va décider de manière consciente ou inconsciente mais toujours volontaire, et en référence au comportement de ces professionnels, d’exclure ses hommes. Et, puisque que l’on voudrait le faire vivre hors du foyer, on constate, on décide qu’il est absent, qu’il est incompétent et qu’il n’a pas d’autre chose à faire que d’aller chercher femmes et enfants en dehors.
En conclusion, nous dirons que la question de l’un et du multiple, des relations entre hommes et femmes, est une question extrêmement complexe et intéressante. Elle est d’autant plus intéressant que l’on accepte de la questionner autrement, et non de tomber dans le travers qui consisterait à répéter un préjugé. Il faut accepter de se questionner de manière légitime et de remettre en question les préjugés, concernant l’infidélité des hommes. En effet si les femmes, sont seulement à 10 % près, plus nombreuses que les hommes, et que les hommes ont de façon majoritaire une maîtresse, c’est forcément que les femmes aussi sont infidèles. Mais c’est là, une question que l’on a du mal à poser dans notre société qui propose une image idéalisée de la femme-mère, et qui fera l’objet d’un développement au cours d’une prochaine intervention.
Je vous remercie de votre écoute.
Errol NUISSIER